7. Résumé de "Amazing Grace" de Laura Knight, ch.13, partie 1

 

Ch.13, Oysters on the half shell (1) (Huîtres en demi-coquilles)

 

Dans ce chapitre, Laura relate son étonnante rencontre avec Grant, son premier petit ami. Voici ce qui précéda :

 

Après avoir démissionné de son précédent travail qui faillit lui coûter la vie, Laura fit tout de même la demande d’installation d’une ligne téléphonique à ‘The Farm’, comme Keith le lui avait demandé. Son frère, Tom, s’était engagé dans la Marine puis s’était marié. Quant à sa mère Alice, elle venait d’épouser son sixième mari puis était partie sur la Côte Est pour y vivre. C’est dans ce contexte que Laura se retrouva seule pendant quelques temps au sein de la vieille maison familiale dans laquelle personne ne s’était rendu depuis plus d’un an ; le temps de flâner, de nombreux souvenirs lui revinrent en mémoire :

 

Tout d’abord, je me rendis à la pompe de l’arrière-cour pour prendre de l’eau, provenant des cruches laissées à cet effet et scellées sur l’étagère, actionnant la manivelle jusqu’à ce que l’eau soit claire et fraîche. Ensuite, traînant aux alentours à l’intérieur et à l’extérieur de la maison, je rencontrais des fantômes du passé à chaque tournant.

 

Un profond silence s’installa, à l’exception du bourdonnement des cigales et d’un cri d’oiseau occasionnel. Plus de Puccini en fond sonore. Plus de climatiseur ronronnant nuit et jour afin de garder la maison fraîche, accompagné d’un feu brûlant constamment dans l’âtre de la cheminée. Et par-dessus tout, plus de bruits de Keith demandant de l’attention. Simplement le silence.

 

Mais le silence était imprégné de souvenirs. Dans la cuisine, je pouvais voir ma mère, ma grand-mère et ma tante faire la vaisselle, éclairées par une lampe après un grand souper de poisson grillé, pêché lors d’une virée familiale. Dans la salle-à-manger, autour de l’énorme table en chêne avec des renforts sculptés en forme de lion accroupi et des pieds ressemblant à des pattes de fauve, je pouvais voir toute la famille affairée à ses occupations habituelles, prenant plaisir à manger des légumes frais du jardin et un ragoût de lapin chassé lors des expéditions de Grandpa.

 

Dans les chambres, je pouvais tous nous entendre, enfants, nous installant sur le grand sommier en fer, rigolant et parlant, alors que les adultes discutaient en faisant des allers-retours entre les chambres, jusqu’à ce que Grandpa clame, “Il est l’heure de dormir !” Et ensuite, le simple bruissement des feuilles de palmier à l’extérieur, la brise qui soufflait constamment en provenance du Golfe, et le claquement occasionnel d’un moustique errant qui s’était fait prendre par le pistolet à pompe anti-insectes de Grandma.

 

Les années défilaient devant moi réveillant les fantômes des voix du passé, comme si je pouvais les entendre véritablement à présent. En fait, cette impression était si forte que j’avais besoin de me secouer la tête pour dissiper ma sensation d’entendre réellement les chuchotements et les faibles échos des années passées. […]

 

Alors que j’allais d’une chambre à l’autre accompagnée du silence, la sensation d’être observée était perturbante. Jusqu’à la tombée de la nuit, je passais le plus clair de mon temps à travailler en restant donc occupée, pour ignorer cette impression.

 

Mais chaque soir, à la tombée de la nuit, je n’arrivais pas à ignorer ce ressenti. Il était trop tard dans la saison pour qu’il y ait des engoulevents, mais des hiboux de toutes variétés chuintaient et hululaient à tour de rôle, et tous les bruits des sous-bois des nuits ‘floridiennes’ étaient amplifiés par le simple fait que j’étais seule. La faible lumière de la lampe à kérosène contribuait peu à dissiper la luminosité. […]

 

D’une certaine manière, je me sentais plus vulnérable car, toute cette obscurité “là-bas”, à l’extérieur, n’était pas éclairée. J’étais dans le cercle de lumière et pouvais être vue, mais je n’avais pas la capacité de voir. J’éteignais les lampes et m’asseyais sur une chaise près de la fenêtre entr’ouverte. Progressivement, mes yeux s’habituaient à la pénombre. J’étais absolument certaine que je n’étais pas seule. J’écoutais et observais, scannant au laser les parcelles du jardin que je pouvais voir de la fenêtre et les endroits de la maison que je pouvais visualiser de ma chaise. J’absorbais tous les sons de la nuit, les craquements et les grincements de la vieille maison alors qu’elle aussi s’endormait pour la nuit. Peu à peu, j’éprouvais l’impression grandissante que la maison elle-même était vivante, qu’elle me sondait pour voir comment j’avais changé depuis ma dernière venue.

 

Finalement, quand je n’avais plus la force de rester éveillée, j’allais au lit et à travers les palmiers, la brise du Golfe me berçait en soupirant.

 

Un soir, Laura avait fini par s’endormir, épuisée d’être restée debout toute la nuit. Elle avait promis d’appeler Keith à son réveil, dès que la ligne téléphonique serait installée. Alors qu’elle était encore profondément endormie, cauchemardant par à-coups d’une vieille femme mal intentionnée assise sur le porche de la maison familiale sur un fauteuil à bascule, elle fut péniblement tirée des profondeurs de sa nuit, entendant au loin le bruit de quelqu’un frappant à la porte d’entrée. Au fur et à mesure qu’elle se réveillait, elle était de plus en plus confuse : “Qui étais-je, où étais-je, et que faisais-je ? Lorsque je finis par ouvrir les yeux, tout me revint en mémoire : le gars du téléphone !”

 

Dévalant les escaliers tout en se débattant pour mettre son peignoir, Laura s’écria “Juste une minute !” Elle ne s’était évidemment pas ‘mise sur son 31’, elle n’avait pas de rendez-vous galant après tout alors pourquoi s’apprêter ? “À cette époque, mes cheveux étaient longs, ébouriffés, et tombaient devant mes yeux ; je me dirigeai vers la porte avec une tête de cadavre ambulant.”

 

Dehors, il y avait un grand homme, blond aux yeux bleus avec la carrure d’un catcheur et le visage d’un ange. Alors qu’elle ouvrit la porte, l’homme resta debout, de marbre, “juste là”, la fixant avec un regard stupéfait comme elle n’en avait jamais vu. “Excusez-moi, la pièce pour installer le téléphone est par ici.” exprima Laura de façon nonchalante. Mais l’homme demeurait statique, il semblait avoir perdu sa langue jusqu’à ce qu’il arrive enfin à prononcer qu’il était bien le technicien venu pour l’installation de la ligne radiotéléphone. “Eh bien, ça, je le savais déjà, ce n’était vraiment pas un scoop ! ; je me demandai même si mon nez n’était pas devenu vert ou quelque chose du genre.” se dit Laura interloquée.

 

Elle continue de raconter la cocasserie de la scène :

 

Je le laissai entrer, lui montrai où je souhaitais installer le téléphone, et me rendis à la cuisine pour faire du café. Puisqu’il n’y avait vraiment rien d’autre à faire, je retournai dans le salon pour observer "l’incroyable perçage" du trou dans le mur.

 

Il devait posséder un don hors norme car cela devait être difficile pour lui d’installer le téléphone tout en me fixant continuellement du regard, mais de façon aberrante, il parvint à le faire, et je commençai à sentir bien plus qu’un "léger" malaise. Il dut s’en rendre compte puisqu’il se mit à parler, posant des questions sur la vieille bicoque, et la raison pour laquelle j’étais là et ce que je faisais.

 

Il me dit son nom, ce qui me surprit étant donné que c’était Grant, un nom traditionnel dans ma famille qui n’était vraiment pas commun. Il me communiqua ensuite l’information qu’il était Polonais, son père ayant échappé de Pologne pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il me partagea qu’il travaillait pour l’entreprise téléphonique afin de mettre de l’argent de côté, pour se rendre à l’université et devenir un ingénieur électrique.

 

Il remplissait assurément "toutes les cases". Mais je ne mordais pas à l’hameçon. Après tout, il n’était qu’un parfait inconnu, et n’était là que pour installer le téléphone. Lorsqu’il partit, enfin, je fus soulagée.

 

Plus tard dans la journée, Laura vit Keith. Ils partirent déjeuner dans leur restaurant de fruits de mer préféré, près de la Côte. En y allant, Keith conduisait de façon si sportive et imprudente que Laura, se sentant mal, lui demanda de ralentir l’allure. Mais ce commentaire propulsa Keith dans un état de furie ; Dr Jekyll était devenu Mr Hyde, la bave dégoulinant de sa bouche tel un chien enragé, il fit demi-tour. La voiture dérapa et Keith faillit les envoyer tous les deux dans le fossé en contrebas.

 

Ce fut la fois de trop ! Effondrée en larmes, Laura lui exprima qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle avait besoin de temps et que leur amitié arrivait véritablement à son terme. “Je savais qu’il n’était pas rationnel. Il avait souffert de lésions cérébrales ; il était déraisonnable de ma part d’attendre de lui une quelconque maîtrise de soi. Il se noyait dans sa souffrance. Mais il m’engloutissait aussi. Toute ma sympathie et mon éducation judéo-chrétienne m’enjoignaient de faire abstraction de tout ce que je ressentais de négatif, et de cultiver ce qu’il y avait de bon en Keith. Mais le ‘négatif’ ne faisait que grandir, et le ‘positif’ diminuait.”

 

Mais alors que Laura était enfin rentrée chez elle, encore sous le choc de tout ce qu’il venait de se passer, quelqu’un toqua à la porte.

 

“Hey ! Je viens de finir le travail. Je voulais juste revenir pour être sûre que tout fonctionnait correctement !” Avec ses yeux bleus, [le technicien de l’installation de la ligne radiotéléphonique] me regarda avec un regard profondément gentil et sympathique, tel que je n’en avais jamais vu de toute ma vie. J’étais réellement au plus mal. Le contraste entre la violence de Keith et cette gentillesse indéniable m’anéantit. Je le laissai entrer, réjouie de pouvoir parler avec quelqu’un de normal.

 

Et nous parlâmes – pendant des heures ! Les vannes s’ouvrirent et je me mis à déverser toute mon histoire avec Keith. Il écoutait attentivement, et lorsque je me mis à pleurer, il essuya mes larmes avec un mouchoir sorti d’un paquet de sa poche, puis m’aida même à me moucher.

 

Je finis de parler et de pleurer puis lui dis : “Donc voilà ! Excusez-moi de vous avoir cassé les oreilles. Ce n’est vraiment pas aussi horrible que cela n’y paraît. Je suis sûre que ce sera différent demain. Donc maintenant, nous serions quittes si vous me parliez de certains de vos problèmes.” Je ne sais vraiment pas ce que j’attendais en lui exprimant cela… […]

 

Il me regarda d’une façon si étrange, prit une énorme inspiration, et se plongea simplement dans une série insensée de mots que je n’avais jamais entendus jusqu’alors. Il me dit qu’il n’avait jamais, jamais, eu l’impression qu’il avait eu lorsqu’il me vit pour la première fois. Il avait essayé de continuer son travail au cours de la journée et de mettre tout ça de côté, de rentrer chez lui et de mettre ça sous le tapis, mais la sensation qu’il éprouvait était tellement puissante, tellement irrésistible, tellement incroyable et était arrivée de façon si instantanée et intense qu’il pensait qu’il allait avoir un arrêt cardiaque. Il tentait le tout pour le tout, mais il devait exprimer toutes ces choses : il était amoureux ! Totalement, complètement, aussi fou que cela puisse paraître – il savait que c’était loufoque et qu’il n’y avait aucun sens à tout ça, mais c’était comme ça. Le fait de me rencontrer avait embrasé un feu dans son âme qui était tout simplement hors de contrôle – il était impuissant.

 

Waouh ! Vous parlez d’un discours où l’on reste sans voix. J’étais assommée. Je ne savais pas quoi dire. Je veux dire, que dites-vous lorsqu’un parfait inconnu tombe presque à genoux devant vous et vous exprime que vous êtes la créature la plus magnifique, incroyable et merveilleuse qui soit sur la planète ? Difficile de trouver une réponse cohérente et percutante à cette question !

 

La première chose qui me traversa l’esprit fut que ce type était vraiment à côté de la plaque. Il valait mieux prendre ses jambes à son cou et revenir à la folie sécurisante de Keith que je connaissais plutôt que de foncer dans ce qui semblait évidemment être ‘la gueule béante du loup’. Assurément, c’était un bel homme, il était polonais, il était intelligent – mais, d’un autre côté, je ne ressentais pas d’émotions fulgurantes envers lui. (Rétrospectivement, j’aurais vraiment dû écouter mon instinct en ce qui concerne mes ressentis.)

 

Je suppose qu’il pouvait lire le choc et le doute sur mon visage, puisqu’il s’est immédiatement écarté de moi et expliqua qu’il savait à quel point tout ce qu’il avait exprimé était certainement déconcertant, mais est-ce que je pourrais seulement lui donner une chance ? Pourrais-je, par pitié, ‘me’ donner une chance ?

 

J’estimais que j’avais une vision assez juste de mon ‘look’ et de mon ‘sex-appeal’. Sur une échelle de 1 à 10, j’étais peut-être un 4. Lors d’un jour ensoleillé, avec du maquillage, j’étais probablement un 5. Mais seulement si je fermais ma bouche pour cacher mes dents tordues. Je n’étais certainement pas Hélène de Troie avec un beau minois, capable de mandater mille navires. Je n’étais même pas sûre de pouvoir mandater un bateau en papier ! Je n’avais simplement pas confiance en l’idée de l’amour, généralement basé sur des apparences. […] Au travers d’expériences douloureuses, j’avais appris que de belles apparences n’équivalaient pas au fait d’être quelqu’un de bon intérieurement. Donc comment est-ce que ce type pouvait savoir qu’il m’aimait alors qu’il ne me connaissait même pas ?

 

Cependant, d’un autre point de vue, j’avais passé la plupart de l’année précédente avec un homme particulièrement intelligent détenant tout le potentiel pour être aimé, mais qui était rabougri et tordu émotionnellement. Je me rendais compte qu’avoir de l’intellect n’équivalait pas nécessairement non plus au fait d’avoir une intelligence émotive. […]

 

[E]n ce qui me concerne, les déclarations de personnes au sujet de l’amour étaient les mêmes que celles au sujet de ‘Dieu’ et de ses soi-disant réponses aux prières. Peut-être que ma recherche du vrai amour finirait comme ma quête de la voix de ‘Dieu’. Et dans ce cas, j’allais probablement me retrouver seule toute ma vie, […] j’étais fatiguée d’être seule. […]

 

Mes pensées, prenant un tel tournant inattendu, me laissèrent confuse. Je dus dire quelque chose, mais tout ce dont je me souviens c’est que [Grant] s’approcha doucement vers moi avec ses bras tendus, et l’instant d’après, je sentais ses bras m’enlacer avec une tendre gratitude, me tirant plus près de lui. C’était comme un abri contre l’orage et je ressentis qu’une longue bataille était arrivée à sa fin. Il tourna mon visage vers le sien et m’embrassa.

 

Il dut partir aussitôt, me promettant qu’il serait de retour. C’était un rêve sans aucun doute. Pendant toute cette soirée, je n’arrêtais pas de toucher mes lèvres qui n’avaient jamais été embrassées de la sorte.

 

C’est donc dans ce contexte que Laura et Grant entamèrent une relation qui ne s’avérera pas être de tout repos…

 

 

1) Les huîtres "on the half shell" sont des huîtres directement servies dans leurs coquilles. Cependant, en anglais, l’expression "on the half-shell" peut également faire référence à quelque chose de très peu coûteux.

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