Mémoires de guerre - par Betty

 

Les vidéos de Graulhet m’ont beaucoup aidée à donner un sens à des expériences essaimées sur plusieurs années en et surtout à en parler.

 

Je ressens de plus en plus qu’il y a deux polarités en moi. C’est assez perturbant car mon esprit n’arrive pas encore à assimiler que je puisse être le beau et le laid en même temps.

Mais en y réfléchissant il y a beaucoup d’élément dans ma vie qui me montrent que ces deux lignées, aryennes et sémites, sont en moi. Je n’ai pas de mémoire de colon/esclave qui me sont revenues mais des mémoires de l’époque nazie.

 

Comme beaucoup de familles, la mienne a souffert de la 2e guerre mondiale. Il reste une certaine répulsion pour l’Allemagne dans l’inconscient de beaucoup de français. Même moi, qui ai vécu dans ce pays, et sachant pertinemment que j’y ai des ancêtres qui y ont vécu, j’éprouvais un certain rejet. Je pensais que cela venait du fait que l’Allemagne, avec le génocide qu’elle avait perpétré, avait montré à l’Humanité une facette d’elle-même qu’elle n’avait pas envie de voir.

Lors de mon dernier séjour là-bas, je découvris que ce pays montrait une facette de MOI-MEME que JE ne voulais pas voir !

 

Ayant toujours cru en la guidance, je me doutais depuis un moment que s’il se créait des situations à répétition qui faisait que je devais passer quelque temps dans ce pays, c’est qu’il y avait un nœud à dénouer. A chaque fois, j’y allais à reculons bien qu’à chaque fois, tout se mettait facilement en place pour que je m’y rende.

 

De plus, et c’est cela qui me mis la puce à l’oreille, j’avais depuis toute petite de grosses remontées émotionnelles dès que l’on abordait la période nazie et l’holocauste. J’étais saisie de terreur dès que je voyais la croix gammée, le salut hitlérien et les troupes marchant à la cadence, tel des robots. J’étais aussi très triste lorsque les jeunes me racontaient que leurs grands-parents refusaient de leur parler de cette période. Ils voulaient comprendre pour ne pas recommencer, et le refus de leurs aïeuls de partager leur vécu les heurtaient.

 

Ce n’est que plus tard que je compris que ces gens reflétaient la part de moi-même qui refusait de « lâcher le morceau » à savoir, les enseignements qu’elle avait retiré en faisant le Mal et me privais ainsi d’une opportunité de grandir. Pour les mêmes raisons que ces vielles personnes, ces mémoires avaient été occultées par honte, par tristesse et par colère envers moi-même.

 

Le déclencheur de la remontée de mes mémoires de l’époque nazie ce produisit lors de mon dernier séjour en Allemagne, lorsque la Chancelière ouvrit la porte à des centaines de milliers de migrants, provoquant une bouffée de peur et de confusion parmi la population.

Beaucoup de gens savaient qu’un tel afflux d’étrangers risquait de déstabiliser leur société mais ils avaient peur de l’avouer, de peur d’être accusé de racisme. Comme pendant la période nazie, « on » n’osait plus dire ce que l’on pensait, remettre en doute la version du gouvernement. La culpabilité du génocide juif est savamment entretenue par les élites de ce pays. Elle est très utile pour faire accepter à la population des choses qui pourrait la mettre en danger.

 

Cette confusion se transforma en véritable chape de plomb après les agressions de Cologne au nouvel an. Je sentais qu’une menace pesait sur nous. Je nous sentais pris au piège. (Je ne m’en suis aperçue que plus tard, mais durant plusieurs mois, je me suis identifiée comme faisant partie du peuple allemand.) J’entendais souvent une voix dans ma tête dire « ça va recommencer ! Ça va recommencer ! »

 

Des mémoires de massacres refirent surface, où je vis mon peuple anéanti par des envahisseurs, je revécu l’impuissance que l’on ressent à ne pas pouvoir sauver sa famille, l’humiliation d’être vendu comme esclave, d’être incapable de protéger, de préserver ceux qui nous est cher. Ces mémoires me tourmentaient au point que j’avais peur d’aller dormir, mais ce n’était que le début.

 

Parce que ce n’est déjà pas facile de voir ses mémoires de victimes, toutes ces vies où l’on a été réduit à un objet, un animal, mais les mémoires de bourreau, là c’est du lourd !

 

Je compris très vite après les agressions de Cologne qu’on nous rejouait une scène, que nous étions remis à l’épreuve. Je dû saluer à contre-cœur l’ingéniosité de « l’autre camp ». L’un des arguments de vente du nazisme était justement le viol des juifs à l’encontre des femmes « aryennes », humiliant la nation toute entière à travers la pauvre victime et souillant le sang « aryen ».

 

Aujourd’hui, on nous resservait le même plat avec les migrants. Des hommes qui étaient d’une façon ou d’une autre « inférieurs » menaçait les femmes et les enfants ! Quelle allait être la réponse ? Evidemment les « sauveurs », comprenez les « vrais » hommes, allaient les chasser !

 

C’était tellement gros que j’en aurais ri si ça ne marchait pas aussi bien. Bien sûr, on ne peut pas reprocher à quiconque de vouloir protéger les siens. Mais cet instinct de protection pouvait et allait être manipulé.

 

Beaucoup d’autres signes me confirmèrent que j’avais vécu en Allemagne durant la montée du nazisme et que j’étais revenue à ce moment précis pour boucler la boucle. Bien sûr, bien au chaud dans mon monde des Bisounours, je me disais que j’avais dû être juive et donc la victime.

 

Que nenni ! J’eu le déclic un soir, en regardant un film se passant dans les années 30. Le personnage principal voyage à Berlin, ville qu’il avait visité quelques années auparavant. En arrivant au centre-ville, il est choqué par le changement d’atmosphère et surtout par les immenses drapeaux hitlériens recouvrant les batiments. Et là je fondis en larmes. Je ne pouvais plus m’arrêter. Voulant découvrir une bonne fois pour toute d’où ces pleurs venaient, je me détachais de mes émotions et les observais. Sous la tristesse et l’horreur, se cachait une énorme culpabilité. La tristesse que j’éprouvais n’étais pas envers le peuple juif, pour la victime comme on est conditionné à le faire, mais pour le peuple allemand.

 

On ne pleure pas pour le bourreau. C’est ce que notre société a décrété. On ne pardonne pas non plus au bourreau, en tout cas jamais vraiment. Et surtout, il ne pourra jamais se racheter, il sera toujours un monstre. Cette mentalité empêche de comprendre ce qui motive les bourreaux, et d’une certaine manière, nous encourage à rejeter ces parties sombres de nous-même, empêchant ainsi toute croissance spirituelle.

 

Je dû m’assoir, car je sentais que tout tourbillonnait autour de moi. Des mémoires refirent surface. J’avais bien été allemande dans une vie précédente. Et non, je n’étais pas juive, j’étais une blonde aux yeux bleus ! j’avais vécu l’humiliation du diktat de Versailles, j’avais ressenti une colère immense en voyant mon peuple brisé, humilié et réduit à la misère. Je trouvais profondément injuste que nous soyons désignés comme les uniques responsable de la 1ère guerre mondiale, alors que nous aussi, nous avions perdu nos pères, nos fils, nos maris.

 

Alors bien sûr, lorsqu’ Hitler arriva au pouvoir et parla de prospérité, de grandeur retrouvée, moi, mon mari et tant d’autres étions tombés dans le panneau. Nous ne prêtâmes pas attention aux lanceurs d’alertes de l’époque. Nous détournâmes le regard au lendemain des pogroms. Nous voulions la prospérité et pendant un temps, Hitler nous la donnâmes. Nouvelles routes, nouvelles industries, nouveaux emplois etc. Peu de monde prenait le discours sur les juifs au sérieux. Une nation civilisée ne ferait jamais une chose pareille ! Et puis, les juifs vivant en Europe depuis des siècles, le mélange des populations était bien entamé. Et, aussi, prendre les dires d’Hitler au sérieux nécessitait de faire un choix : soit renier son âme, soit faire de la résistance, ne serait-ce qu’en refusant de laisser son esprit être corrompu par cette idéologie.

 

Je me souvins la désillusion puis la honte et la culpabilité lorsque j’eu le courage de regarder en face ce que j’avais contribué à créer en soutenant cet homme. J’avais, nous avions collectivement vendus notre âme au diable pour le pouvoir et la vengeance. En échange, nous avions sacrifiés des franges entières de la population (les Juifs, les Tziganes, les Roms, les homosexuels, les personnes handicapées) sous prétexte qu’ils étaient inférieurs. Je n’avais vu que ce que je voulais bien voir. Cela m’avait coûté mon intégrité.

 

Rongée par la culpabilité, je me suis revue à Lyon pendant l’occupation avec mon mari, essayant de faire passer des juifs en Suisse et en zone libre. Je trahissais mon pays que j’aimais tant, mais en le faisant je préservais mon humanité, je redevenais loyale envers mon Ame.

 

Mon Ange me dit que c’est choix qui m’a été proposé plusieurs fois dans mon passé. Le choix entre la loyauté à l’autorité et la loyauté envers son Ame, et ce peu importe le prix à payer. Je découvris aussi qu’elle était ma plus grande peur cette nuit-là. Hélène a peur de manquer le train, moi j’ai peur de plier, de renier mon Ame, de me soumettre à une vie indigne par peur de souffrir, par peur d’être torturée, par peur d’être réduite à moins qu’un animal.

 

En revenant à moi-même, Je vis que toute cette situation avec les migrants, avec les souffrances que cela engendrait était un cadeau pour celui qui sait en retirer l’enseignement. Je pleurais de reconnaissance, d’avoir pu me libérer de ce fardeau et de de tristesse aussi, car tout se mettait en place pour qu’une guerre civile éclate.

 

Au bout de quelques jours, une l’émotion retombée, je me mis à m’inquiéter. Vu le peu de gens qui travaillaient sur eux-mêmes, rester dans l’une des plus grandes villes d’Europe n’était peut-être pas une super idée. Je rencontrai des gens qui voyaient le piège que l’on nous tendait et envisageait comme moi, de s’éloigner des villes. Quelques jours plus tard, on m’apprit que finalement, mon contrat de travail ne serait pas renouvelé. Je compris qu’un cycle s’était terminé, je fis mes bagages et je suis rentrée en France. J’eu l’intuition que je ne vivrais plus jamais en Allemagne.

 

Grâce à ces mémoires j’ai commencé à intégrer des leçons importantes. La première, et la plus amère : on ne peut pas sauver autrui. Peu importe l’amour qu’on lui porte, on ne peut sauver un être qui ne veut pas se sauver lui-même, qui refuse de faire face à ses ombres. Peu importe que cette personne soit bonne, elle risque de succomber à ses sombres penchants quand la situation extérieure devient dure. De la même manière, on ne peut pas « sauver » son pays de quoi que ce soit. Peu importe les bien-faits qu’une nation a pu apporter au monde, elle sombrera dans la barbarie si son peuple fait l’autruche lorsqu’il est mis à l’épreuve.

 

Cette réalisation me mis dans une colère folle les premiers temps. Je voyais bien que cette colère était puérile. C’est la colère que pique un enfant quand son monde ne marche pas comme il veut. Pas de chance, il n’y a rien à sauver à part soi-même. (Ce qui représente un boulot colossal.)

 

L’autre leçon est qu’en voulant faire le bien sans comprendre comment marche le monde mène automatiquement à la catastrophe. C’est à cause de l’ignorance de ces lois que les meilleures intentions finissent par être récupérées, dévoyées et finalement détruites.

A présent je fais de mon mieux pour ajuster mon comportement et arrêter de faire la « sauveuse ». C’est particulièrement difficile envers les membres de ma famille et les enfants. Mais je commence à comprendre ce que signifie réellement le respect de Soi et des autres. Bien sûr, cela ne colle pas avec l’idée que notre société s’en fait. Respecter l’autre signifie aussi le laisser se planter pour qu’il apprenne. Je suis loin d’être au point mais je fais mon petit bonhomme de chemin. Je vois que lorsque j’y arrive, et que je ne cède pas au chantage, mon entourage est obligé de se prendre en main, de rechercher des solutions ailleurs. Qu’ils les cherchent en eux-mêmes ou chez d’autres ne me concerne pas. C’est très libérateur pour soi, mais aussi pour les autres.

 

Le seul problème, si je puis dire, c’est que la plupart des gens ont peur d’être libre. Avec la liberté vient la responsabilité de ses actes et de sa propre vie. On est son seul maître et son seul juge. Lorsque l’on est libre, il n’y a personne vers qui rejeter la faute, on est face à soi-même.

 

Moi-même, qui souhaite plus que tout être libre et suivre la guidance de mon Ange, je m’aperçois à quel point j’ai peur de cette liberté et de ce qu’elle implique. Je me suis aperçue que mes rapports avec les autres étaient teintés de dépendance, d’intéressement et n’étaient absolument pas aimants, comme je l’imaginais. J’avais peur que l’on s’aperçoive que je ne rentrais pas dans le moule, j’avais peur du rejet et de la solitude. Maintenant que j’y vois plus clair, je laisse les gens qui veulent partir de ma vie partir. Lorsque l’on a vraiment à cœur le respect de l’autre, c’est beaucoup plus facile, même lorsqu’il s’agit d’une personne dont on est très proche. Mon cercle de connaissances s’est considérablement réduit, mais je peux être moi avec le peu de personnes qui sont restées.

 

Ces remontées de mémoires m’ont aussi appris à me pardonner. J’appris à accueillir mes mémoires de bourreau comme un cadeau même si elles me rendent malade pendant quelque temps. Elles me permettent de mieux comprendre le Mal, d’accueillir ces parties de moi qui sont blessées et qui ont besoin d’être reconnues et intégrées. C’est dur d’être face à soi-même car on n’a aucune échappatoire, on ne peut plus se raconter d’histoire et l’image que l’on a de soi en prend un coup. Mais dans un sens, je trouve ça plus facile que de vivre dans l’ignorance et le mensonge. Je ne pourrai plus vivre comme avant. Je suis loin d’avoir déposé tout mes fardeaux et dépassé toutes mes peurs, mais l’avant-goût de liberté que je ressens lorsque je fais la paix avec mes ombres me donne le courage de continuer à chercher et à avancer.

 

Betty K. (cénacle - dépt 39)

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Commentaires: 1
  • #1

    Piamarie david (vendredi, 21 septembre 2018 14:33)

    Merci!
    La phrase clef pour moi est celle-ci: "Maintenant que j’y vois plus clair, je laisse les gens qui veulent partir de ma vie partir. Lorsque l’on a vraiment à cœur le respect de l’autre, c’est beaucoup plus facile, même lorsqu’il s’agit d’une personne dont on est très proche. Mon cercle de connaissances s’est considérablement réduit, mais je peux être moi avec le peu de personnes qui sont restées"
    À l'âge de 53 ans il ne me reste plus que 2 personnes et je concidère ceci comme un grand luxe!!
    Heureusement que nous avons tous aussi celles qui ne sont plus en chair et en os :-)
    Merci et je vous souhaite à tous plein d'Amour,
    Marie