Témoignage 637 - Francine C - Enquêter pour dénouer des situations de souffrances

 

Bonjour les LEOs,

 

Suite à mon témoignage sur ma grand-mère Marie décédée en 1937 à l’âge de 30 ans, je me suis intéressée à toutes les questions relatives aux mémoires transgénérationnelles et à l’importance de continuer à enquêter pour dénouer des situations de souffrances ; je ressentais que je pouvais encore recueillir plus d’informations sur Marie.

C’est alors que j’ai été inspirée à aller vers la généalogie pour connaitre sa famille et sa lignée.

 

Grâce aux archives Départementales et à Généanet aussi, qui rassemble beaucoup de travaux de généalogistes familiaux, j’ai pu retrouver facilement Marie et sa famille et j’ai été surprise que 15 personnes aient fait son arbre généalogique personnel, 15 personnes se sont intéressées à elle récemment ! Quelle convergence d’intérêt pour elle, Marie !

 

Là, j’ai pu noter que Marie, de ses 18 ans à ses 21 ans a perdu sa mère, puis une de ses sœurs et son père, 3 semaines après la naissance de son 1er enfant (mon père) à 21 ans en 1928.

Ces 3 décès ont dû être douloureux et compliqués à gérer pour une jeune épouse et jeune maman et aussi, avec le deuil vestimentaire de rigueur, porté pendant plusieurs années, souvenir visuel constant rappelant les deuils et ne vibrant pas du tout la joie…

 

Puis, m’étant familiarisée avec le site des archives départementales, je suis allée sur la 1ère page des forums où j’ai vu en évidence (comme une balise clignotante pour attirer mon attention !) 2 témoignages sur des recherches sur un parent hospitalisé à l’asile des aliénés départemental.

Je me suis souvenue alors que l’amie de la famille rencontrée par ma sœur ainée avait fait une brève allusion à cet asile-là à propos de Marie.

Aussi, de suite, j’ai fait une demande de renseignements au sujet de Marie : une réponse positive est arrivée alors 15 jours plus tard en me disant que 7 « pièces » administratives étaient à ma disposition en salle de lecture.

J’y suis allée et finalement, j’ai photographié 12 « pièces ».

 

Quant au contenu, c’est plutôt douloureux et l’histoire de vie est plutôt succincte : « travaillait beaucoup, 2 enfants en bonne santé, pas d’aliénés dans la famille » juste que la « maladie date de un mois » sans qu’on en sache la nature et que « ça s’est aggravé depuis 3 jours ».

Des troubles « d’aliénation » sont apparus la rendant « dangereuse pour elle et pour les autres ».

 

Il n’est nulle part fait mention des violences conjugales : les hommes de cette époque se protègent-ils entre eux ou plutôt les violences conjugales, étant privées, ne rentraient pas dans le cadre de réflexion sur les troubles psychiatriques de l’époque ?

Elle est mise en placement d’office du 14/11 au 19/11/1937 soit 6 jours.

 

On suit son bref séjour, elle ne mange presque plus, se débat, elle est « camisolée et fixée au lit », une fièvre apparait, elle est sondée pour être alimentée, et la veille de sa mort soit le 18/11, on lui donne une infusion de feuilles de digitale.

Le lendemain,19/11, elle est dans le coma, mon grand-père demande le retour à domicile qui est accordé « in extremis » comme c’est noté et dans une « pièce », le retour est accordé parce que « Mme C. ne présente plus de troubles mentaux » (évidemment, elle est dans le coma ! je ressens le cynisme, la froideur des mots employés dans un document administratif).

 

Mon grand-père la ramène à domicile dans la cariole à cheval dans le froid d’un mois de novembre pour une voyage de 35 kms de campagne et je ne sais pas où elle est réellement décédée.

J’ai mis 3 jours à comprendre qu’elle a été euthanasiée : dans ma pratique d’infirmière, on donnait de la digitalline à faible dose pour soutenir le cœur des patients, ce n’est qu’après avoir échangé avec un de mes frères et ma mère qui eux ont compris de suite que c’est le côté toxique de cette plante qui a été utilisé !

 

Une partie de moi ne pouvait pas admettre une telle pratique, cela heurtait trop mon éthique d’ex-infirmière, je ne pouvais pas croire (malgré la crise sanitaire récente) que le pouvoir médical en place pouvait utiliser sciemment la toxicité d’une plante contre un patient. Je peux encore avoir des restes de naïveté…

J’ai compris alors que cette pratique a été sans doute plus utilisée que l’on ne croit pour trouver une « solution » chez certains patients « aliénés » ou autres « cas incurables » pour l’époque.

 

Pour Marie, ces « pièces » ne nous disent pas tout, il reste des questions sans réponse.

La description de son quotidien du 14/11 au 19/11, m’a laissée entrevoir et ressentir son désespoir quand elle a été « camisolée et fixée au lit » comme si nos sensibilités respectives se rejoignaient et qu’au-delà de l’espace et du temps, je tissais un lien avec elle pour soulager sa douleur psychique et sa solitude.

 

Dans mes recherches sur Généanet, je trouvais souvent des arbres généalogiques de membres de ma famille d’un certain pseudo et en cherchant qui en est l’auteur, j’ai compris que c’est le fils d’une cousine perdue de vue.

En effet, Marie a eu donc 2 enfants, Louis, mon père et Thérèse, ma tante décédée à 46 ans ainsi que son mari. Leurs 4 enfants (mes cousins) suite à des malentendus avec mon père, ont coupé les liens avec nous.

 

Je pense que le décès douloureux de Marie a eu des répercussions néfastes et inconscientes dans la 1ère et 2ème génération de sa descendance, mon père étant traumatisé par sa jeunesse, n’a sans doute pas eu les mots adéquats quand ses 4 neveux sont devenus orphelins, jeune adulte et adolescents.

 

Et là, je retrouve un membre de la génération suivante, petit-fils de Thérèse (que je ne connais pas) qui est lui aussi en recherche généalogique sur ses ascendants ! Je prends contact avec lui, il est très réceptif sur mes propres recherches, très content d’en savoir plus sur Marie, il l’avait repérée, il ne comprenait pas cette mort si jeune à 30 ans et était très perplexe sur ses derniers jours de vie.

 

Je lui propose de partager mes recherches avec mes 4 cousins, il souhaite aussi me rencontrer pour recueillir les éléments des descendants de mon père.

De mon côté, j’informe mes 4 frères et sœurs des résultats de mes recherches pour faire connaitre une partie de la vérité, redonner toute sa place à Marie dans notre histoire familiale car à l’image de sa tombe seule et isolée des autres membres de la famille dans le cimetière, tout a été mis en place pour effacer Marie dans notre mémoire familiale.

 

Par ce travail et nos partages avec mon nouveau cousin, mon intention est de contribuer à guérir, transmuter la souffrance dans nos liens transgénérationnels, en paix et joie, autant que possible.

 

Je me rends compte que j’ai été guidée pas à pas dans cette enquête et « cerise sur le gâteau » je ne m’attendais pas à cette belle conclusion : nous permettre d’envisager de retisser des liens apaisés, entre les descendants de Louis et de Thérèse, enfants de Marie, je la sens avec moi, en écrivant, elle est heureuse de ce dénouement et c’est émouvant pour moi.

 

Je crois à présent, dans cette heureuse conclusion, que c’était le vrai but de cette enquête et que c’est le Plan Divin en action à notre humble échelle.

 

Francine C (dép. 85)

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Commentaires: 1
  • #1

    Christine G (vendredi, 12 avril 2024 10:22)

    Merci, Francine, de cet émouvant témoignage. Cette recherche qui vous a poussée à démêler l’écheveau familial n’a pas été fait en vain puisqu’il rayonne jusqu’aux Léo. En effet c’est à travers ce genre de « fait divers » que nous pouvons toucher nos propres souffrances en intégrant l’histoire de certains membres clé de notre famille.
    Le travail est, hélas, insondable actuellement car le moteur de souffrance est toujours alimenté en carburant ! Faire sa part est donc vital.
    N’hésitez pas à nous écrire la suite, si suite il y a après l’entrée en contact avec ce nouveau cousin car d’autres découvertes pourraient être au rendez-vous.
    Christine