Témoignage 591 - Jean-Luc H - Quand je repense à mon enfance - Partie 1

 

…. Je me rends compte qu’il ne m’en reste que très peu de souvenirs. Au plus loin que ma mémoire puisse remonter, je n’arrive pas à aller en deçà de mes sept ans, peut être huit, je ne sais plus….

 

Cette nécessaire introspection, je l’ai déjà effectuée, mais sans jamais en parler à quiconque. J’en ai tiré des conclusions éclairantes concernant certains comportements réflexes tels que le jugement envers autrui ou le besoin de reconnaissance.

Avec le recul, j’ai l’impression d’avoir eu une enfance ni heureuse ni malheureuse, une enfance surtout marquée par la solitude, l’incompréhension de mon entourage et mon inadaptabilité chronique à m’insérer dans le système.

 

Nous avons été, ma sœur et moi, nourris, logés et blanchis par notre grand-mère. Je ne peux pas dire ‘élevé’ car je ne me souviens pas avoir eu de relations de tendresse avec elle. Elle, ce qu’elle voulait, c’est qu’on obéisse. C’était une femme qui avait connu deux guerres et était issu d’une famille nombreuse. Dans les rares confidences qu’elle m’ait faites, elle me racontait que son père était conducteur de fiacre à Paris et que son fouet lui servait à faire régner l’ordre dans la maisonnée….

Elle s’est marié tard et a eu ma mère après quarante ans. Elle est devenue veuve lorsque ma mère est entrée dans sa vingtième année.

 

C’était une femme dure, possessive, jalouse, manipulatrice et autoritaire, pourtant, j’adorais ma grand-mère, c’est donc qu’elle devait m’aimer aussi. Dans son délire possessif, elle m’interdisait de sortir pour aller jouer avec mes deux copains qui habitaient la même rue. Il fallait très souvent que je sorte sans lui demander la permission. De la même manière, personne n’avait le droit de venir à la maison. En grandissant, j’acceptais de moins en moins son diktat. Voyant qu’elle perdait le contrôle, elle avait développé une nouvelle stratégie : quand elle ne pouvait plus se faire obéir, elle quittait la maison en disant qu’elle ne reviendrait plus et partait dans la rue. Cette situation nous plongeait, ma sœur et moi, dans une angoisse et une culpabilité que je n’oublierai jamais. Nous courions dans la rue pour demander à notre grand-mère de revenir et promettions d’être sages de nouveau. Elle nous a fait le coup de nombreuses fois, et à chaque fois cela marchait. Et puis un jour cela n’a plus marché et naturellement, elle a arrêté son cinéma.

 

Malgré ce tableau un peu sombre, j’ai retenu deux choses de la part de ma grand-mère : la première, c’est qu’il ne sert à rien de se plaindre. J’ai vécu les dix-huit premières années de ma vie avec elle. Je l’ai vu déclinée (elle était diabétique) mais jamais je ne l’ai entendu se plaindre. La deuxième, elle me répétait sans cesse que dans la vie, on récolte toujours ce que l’on sème. J’étais trop jeune à l’époque pour comprendre le sens de cette maxime. La compréhension n’est venue que beaucoup plus tard.

 

Elle a eu une fin de vie difficile. Le diabète a fini par endommager son cerveau (elle adorait le sucre). Elle avait des hallucinations, elle voyait des individus pénétrer dans sa maison, et pour se protéger elle avait toujours une paire de ciseaux sur elle. On avait beau lui dire qu’il n’y avait personne, rien ne lui faisait entendre raison, elle ne nous croyait pas….

J’ai vécu cette déchéance physique et intellectuelle qui a duré environ trois ans, entre mes 15 ans et mes 18 ans. Et puis un jour, ma mère l’a placée dans une maison de retraite après mon départ à l’armée. Je ne l’ai plus jamais revu jusqu’à son enterrement environ un an plus tard.

 

Cette fin de vie difficile à laquelle j’ai assistée m’a certainement marqué inconsciemment. C’est sans doute la cause qui explique pourquoi je prends tant de compléments alimentaires et pourquoi je prends autant soin de mon corps.

Avec le recul, je me suis toujours demandé comment une grand-mère pouvait infliger à ses petits-enfants une telle manipulation psychologique. Ma grand-mère présentait le pire côté de l’aspect féminin. Elle a profondément marqué la psyché de ma mère, et pas de la meilleure manière qui soit.

 

Malgré tout, j’étais conscient qu’elle avait un faible pour moi. Il lui arrivait de m’acheter des jouets rien que pour me faire plaisir, ou peut-être pour acheter mon obéissance. Ma sœur, de vingt et un mois mon aîné, se rendait bien compte de la situation, si bien que très tôt nous sommes devenus des étrangers l’un pour l’autre. Aucun dialogue, aucun échange, l’incompréhension totale. Je me souviens qu’elle me surnommait « dents de lapin » parce que mes incisives inférieures et supérieures avançaient énormément. J’ai d’ailleurs porté des appareils dentaires pendant des années et cette moquerie vexatoire a perduré pendant tout ce temps. Je n’étais pas un saint non plus car je cassais ses poupées en guise de compensation émotionnelle.

Au fil des années, ma sœur et moi n’avons jamais noué de liens. Cette situation est restée inchangée jusqu’à son décès.

 

Pour en finir avec cette 1ère partie, j’aimerais souligner que je n’ai jamais eu de rancœur vis-à-vis de ma grand-mère. C’était une femme très courageuse, qui a vécu une enfance très difficile et qui n’a pas pu donner ce qu’elle n’avait jamais reçu. Avec les années, j’ai compris qu’elle m’aimait à sa manière. Lorsqu’il m’arrive de penser à elle, je la revois dans son fauteuil, revivant le passé avec son mari qu’elle adorait et que je n’ai pas connu.

 

A suivre…

 

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