Témoignage 530 - Florian R - La difficulté de donner et recevoir

Bonjour les LEO,

 

Je voulais aborder aujourd’hui une thématique qui ne fait pas du tout la fierté du prédateur en moi, mais qui m’a été inspirée par la lecture du cahier N°24 de Sand & Jenaël L’art de donner. Je veux bien évidemment parler du don, de mon expérience personnelle de ce fait dans ma vie, peu réjouissante y compris dans le sens inverse, celui de la réception.

 

Je m’aperçois de plus en plus, sans fierté aucune, que la partie prédatrice en moi fait tout pour appuyer sur un réflexe que j’ai depuis l’enfance, à savoir une forme d’isolationnisme, le fait de se considérer comme une « île humaine » qui n’a besoin de personne. C’est notamment ce qui m’a fait hésiter à partager sur le réseau LEO : à la fois, je craignais d’exposer mes expériences et témoignages à la vue de tous — car je crains que des gens remontent jusqu’à moi, notamment ma famille qui m’a toujours terrorisé à ce sujet — et je me disais également : « Oui, c’est bien mignon le réseau LEO, ça peut m’aider à progresser mais avant tout, il faut que je m’aide moi-même sans l’aide de personne, non ? Ça vaudra toujours mieux que de toujours compter sur l’aide d’autrui, ça, ça m’infériorise et me met dans une position de quémandeur assisté ».

 

C’est fou comme la prédation épouse des discours volontaristes et autonomistes (au sens de « chercheur d’autonomie »). Elle m’a fait le même coup lorsque je suis parti de chez mes parents de La Rochelle pour aller m’installer à Bordeaux en 2010. Plus exactement, la prédation a voulu me faire croire au « rêve américain », à l’idée de « créer sa Destinée »… pour mieux me faire le coup du lapin. Coup classique du publicitaire qui vous dit « Soyez vous-même »… pour mieux être comme tous ceux qui ont acheté la même chose avant vous. J’ai tenu six mois dans un état de conscience « un peu élargi » par rapport à d’habitude mais la prédation est revenue à la charge sous la forme de mes personnages de roman qui sont venu instiller en moi une forme de culpabilité, celle d’avoir « fui lâchement » ma famille sans avoir cherché à comprendre son fonctionnement — alors que je n’en avais pas vraiment besoin, ressentant déjà plein pot la malsanité de ce milieu. Ce syndrome de l’inspecteur fut l’ancre qui permet à la prédation de me ligoter « bien gentiment » et de me faire revenir dans le giron de sa mainmise, ce qui se manifesta par mon départ prématuré de la classe préparatoire après un an — alors que le proviseur et le proviseur-adjoint m’avaient appelés pour me dire qu’ils me reprenaient et acceptaient que je redouble !

 

Pour en revenir à la « peur de donner », je dois avouer que je passe mon temps à me donner des excuses, ou plutôt à céder à celles de mon prédateur par une peur panique sur laquelle il sait parfaitement jouer. Souvent, il m’arrive de vouloir donner au réseau et je l’ai fait plusieurs fois : la première étant pour la construction du toit où j’avais donné 10 € sans vraie raison autre que « Je veux que l’ECOLEO existe, je veux qu’ils aient la possibilité de l’ouvrir, c’est naturel ». Seulement, le prédateur se fait alors instantanément ressentir, me ressortant une foultitude d’arguments à l’air tous plus légitimes les uns que les autres :

  • « Oui ! Tu te rends pas compte ! Si à l’avenir, t’as plus de fric, tu pourras t’en prendre qu’à toi-même », « Dilapide ton argent et on va voir si la banque ne te rapplique pas au cul ! » (il sait que j’ai peur des banquiers ! Le fait de les traiter de « riches banquiers » ou de « Juifs [sic ! C’est un de mes karmas] banquiers » ne change rien)
  • « Que dira ta mère ? Elle qui a passé sa vie à économiser pour toi ! Tu vas la désavouer, elle ?! Tu vas tout foutre en l’air de ce qu’elle a fait en sale petit égoïste ?! », « Tu sabordes tout ce que ta famille de sages (sic !) a fait pour toi ! », « Ta mère se sacrifierait pour toi et c’est comme ça que tu la remercies ?! Elle a raison de te con-sidérer comme un ingrat ! »
  • « Si tu continues de donner, tu vas te vider de ton argent et tu vas finir dans la rue » : c’est ma pire crainte, devenir SDF et subir le regard courroucé des petits bourges nantis, ceux qui ont un toit sur la tête car dès que l’on devient vagabond dans cette société, on vous con-sidère comme un indésirable, un odieux parasite. Vous devenez un « rien » au sens macronien du terme.
  • « TU VAS QUAND MÊME PAS DONNER À UNE SECTE ?! » avec d’autres raffinements comme : « Ce sera quoi après ? Les témoins de Jéhovah ? Les raëliens ? », « Fais gaffe ! Tu vas te faire pincer par la MIVILUDES ! » (sic ! Ma hantise des institutions, cf. La soumission à l’autorité), « Et si Google et consorts tombent sur tes transactions… T’es mort ! », « Fais gaffe ! Le ministère va venir te choper ! », « Prends des risques, vas-y ! Je m’en lave les mains ! Si tu finis dans la merde, ce sera entièrement ta faute ! »
  • « Tu crois à ces trucs absurdes de la loi du retour ? », « Oui, ben y en a qui ont passé leur vie à donner et ils n’ont jamais reçu quoi que ce soit en retour », « Souviens-toi ! Quand tu donnais tes cours particuliers au lycée à tes amis, comme ils étaient vachement reconnaissants ! Tu veux te faire exploiter comme à l’époque ? »
  • « Ils disent que rien n’est gratuit ?! Mais ils se prennent pour qui : Emmanuel Macron ?! Donald Trump ?! Rothschild ?! [sic !] », « S’ils pensent que tout se paie, pourquoi ils critiquent les thérapeutes ? C’est la même démarche : de l’argent contre un service ! », « Il doit être vachement gai leur monde priv[atis]é ! S’ils veulent, on peut faire comme en Angleterre où tout se paie cher ! 3 € la minute de connexion comme ça, ils auront tout de suite moins de partages ! »,
  • « C’est vachement cohérent de critiquer le satanisme et la richesse et de dire ensuite que rien n’est gratuit, car c’est comme ça que pensent les familles archontiques ! », « Ils parlent de parasitisme mais ils font pareil avec leur idée que tout se paie », « Ils disent ça parce qu’ils manquent d’argent. S’ils étaient en position d’ascendant financier, ils balanceraient des arguments de gratuité pour se donner bonne conscience »

(Désolé de la force et de la désinvolture des arguments mais c’est vraiment ce que je ressens de la prédation en moi en écrivant. Je m’en rends compte à quel point la prédation vise à me dissuader par tous les moyens de partager les thématiques les plus névralgiques sur le réseau)

 

Cette partie de moi, à laquelle je cède régulièrement, n’a qu’une seule envie : amasser, thésauriser, conserver le plus d’argent de côté pour en avoir devant elle (logique ?), donc en gros se servir dans la caisse et se comporter en assisté social de première classe. Fait assez cocasse : quand j’ai dû faire ma JAPD, je me rappelle que le sergent qui m’avait appelé pour me remettre le certificat s’appelait Comptant. Encore un fait qui me rappelle combien j’ai dû être bourgeois dans certaines vies et craindre pour mes moyens, au point de tout garder jalousement. Ce qui concernait l’argent a fini par s’étendre au domaine du relationnel en général : je ne donne pas facilement de ma personne, ai tendance à bénéficier des services mais pas à en rendre. L’une des excuses favorites du prédateur est la suivante : « De quel droit tu te permets d’interférer avec leurs vies en donnant de ta personne ? Tu penses qu’ils en veulent de ta personne ? Ils ne t’ont rien demandé, on ne t’a pas sonné les cloches ! Tu crois que tu vaux mieux que Bush qui envahit l’Iran et l’Irak en prétextant ‘rendre service’ aux pays luttant contre le terrorisme ? Petit con, va ! » (désolé de la vulgarité mais mon prédateur, enfin celui que j’entends, a vraiment tendance à parler comme un adolescent de 15 ans doublé d’un intellectuel mal embouché)

 

Cela me fait penser combien une partie de moi n’a aucune envie d’être créatrice, mais seulement utilisatrice, de bénéficier de ce qu’ont fait les autres sans jamais faire à mon tour. Ainsi je répugne à apprendre la programmation alors que je passe des heures par jour à manier un ordinateur. Je suis un utilisateur averti… mais pas un programmeur, je ne donne pas de ma personne pour contribuer à un projet. Autre exemple éclairant : depuis l’enfance, l’un des jeux qui m’a passionnés sans que j’en connaisse la raison est Pokémon, mais assez vite, je me suis lassé des jeux imposés par la franchise et ai voulu créer mes propres scénarios. Soit ! Sauf que bien évidemment, je ne les ai jamais partagés, arguant des raisons de « préserver mon petit univers », comme si le fait d’en parler à d’autres gens aurait été un crime contre mon isolationnisme, que cela aurait été la porte ouverte à la contribution des autres — alors que cette partie prédatrice en moi entend tout créer de A à Z, d’être un vrai Démiurge — quand ce n’était pas l’argument malhonnête du « copyright », alors que bon nombre de fans ont publié des fangames (jeux faits par des fans) sans avoir de problèmes.

 

Toujours sur les jeux vidéo, quand j’étais au collège, je traînais tous les jours avec un « ami » de l’époque, Adrien, avec qui j’échangeais de nombreux projets de roman et de jeux vidéo car nous étions tous deux Pokéfans. Je me rends compte avec le recul combien cette relation était malsaine, consistant la plupart du temps en un affrontement d’égoïsmes car nous développions nos projets chacun de notre côté. Bien sûr, lorsque nous essayions d’harmoniser nos travaux, de « mettre en commun », cela coinçait car nous n’étions d’accord sur rien. Je trouvais ses noms de ville ridicules par exemple. Quant à lui, il me reprochait régulièrement — à juste titre — d’avancer sans tenir compte de ses opinions. J’étais d’un égocentrisme pas permis à l’époque, ne voyant les choses que par moi-même, vivant dans ce que « j »’appelais « Le Petit Monde de Florian ».

 

Cette manie d’être centré uniquement sur soi sans se mettre au service d’autrui allait jusqu’à conditionner la manière dont je créais mes univers de roman. J’étais un créateur tyrannique, voulant tout contrôler de ses personnages, de l’allure des villes, jusqu’aux horaires de train et de bus (j’ai encore des fichiers sur un de mes disques durs externes !). Il fallait que « ça soit grandiose, que ce soit grand », à peu près autant que la folie d’un Donald Trump ou d’un Mussolini. Mes personnages devaient aller là où je le voulais, quand je le voulais, comme je le voulais, avec qui je voulais. C’était « moi » qui faisait la pluie et le beau temps, moi qui décidais s’il y avait des frites à la cantine [sic !], moi qui décidais des retards de train, moi qui disais qui se voyait, quand, combien de temps, moi qui organisais toute la chronologie des événements avec mon petit mental mesquin.

 

Un jour, alors que je relisais mes archives de la faculté, je suis tombé sur un exposé que j’avais présenté en cours d’anglais à l’oral sur un film de Stanley Kubrick, The Shining. J’avais lu la biographie de Kubrick et avais avalé quantité d’analyses sur ses films, toutes montrant combien le personnage était méticuleux mais aussi tyrannique avec ses acteurs. Ainsi pour le film The Shining, adapté du roman de Stephen King, il avait poussé Shelley Duval, jouant Wendy, la mère de famille, à bout pour qu’elle soit assez paniquée face à Jack Nicholson, qui jouait le rôle du père possédé par l’Esprit de l’Hôtel, cherchant à tuer sa femme et son fils. Sur le coup, je me suis dit : « C’est dingue, il est comme moi ! Je fais pareil avec mes personnages ! ». J’ai alors tout de suite fait le rapprochement repris conscience de la mesquinerie qui se tramait en moi, je me suis décidé à écrire une autofiction décrivant mon autoritarisme dans ma création romanesque, que j’ai appelée Stanley le tyran. Ce n’est qu’en comprenant la notion de prédation telle qu’exposée sur le réseau LEO que j’ai enfin compris que mon impérialisme vis-à-vis de mon monde n’était que le reflet de la manie de mon prédateur de vouloir tout contrôler.

 

En fait, je me demande si je ne suis pas né dans une famille de la classe moyenne ouvrière pour cesser de haïr tout type d’échange, pour me rendre enfin compte à quel point je cède à l’égoïsme typique du prédateur en moi. Ce type d’égoïsme que l’on peut justement résumer par des phrases aussi subtiles que : « Il faut rien laisser passer », « C’est le premier qui bande qui encule l’autre ! » (oui, oui, j’ai vraiment entendu ça en famille ! Ça en dit long sur leur stade de prédation), « Un centime est un centime », « On va leur faire la peau aux patrons », « Tout pour ma gueule ! » (surtout mon père) et le reste du même acabit. Mes parents ont passé leur vie à se décrire comme de « pauvres victimes sans défense » du patronat tout en comptant sur la justice de ce monde — qui est elle-même à leur solde. Je me souviens notamment du moment où mon père a investi tout son temps et son énergie, hors boulot, dans un procès contre son ancien employeur qui avait fermé son site et l’avait renvoyé en lui remettant une indemnité de licenciement dont il n’était pas satisfait. Il a perdu son procès mais ne s’est en rien remis en cause pour autant, continuant de casser du sucre sur le dos de ces infâmes patrons en mode Mélenchon, d’accuser l’extérieur avec un discours duel et résigné : « Tous des salauds mais on n’a pas le choix, c’est comme ça… »

 

L’autre hypothèse que j’émettais, en rapport avec mon karma, ce sont les vies que j’ai sans doute vécues en Angleterre, le pays qui me faisait rêver dans l’enfance — à un degré bien plus fort que les États-Unis alors que ma famille autour de moi ânonnait le rêve américain. Je sens — ou plutôt je sais — que j’ai vécu confortablement dans ce pays du libéralisme décomplexé, étouffant dans mon aisance financière au point que mon âme en a eu marre un jour et a demandé d’autres expériences qui me sortent de ma torpeur animique, laquelle profitait beaucoup à la prédation qui pouvait me tenir en laisse. Je suis allé plusieurs fois en Angleterre : j’ai certes eu le sentiment de retrouver une famille, mais une famille triste, encageante, enfermante, vivant dans une sorte de planque où je me sentais digéré, rongé à petit feu, le genre de cachette où je me cloître en évitant tout contact avec l’extérieur car étant trop terrorisé pour « affronter mes peurs » (amplifiées par qui ou quoi ? Qui me fait miroiter l’illusion de la peur si ce n’est la prédation ?). L’Angleterre est bien cette « angle terre », la terre où l’on arrondit les angles, où tout est carré, quadrillé, réglé comme du papier à musique donc bien calibré pour étouffer toute quête spirituelle. Elle est un miroir aux alouettes, une anesthésie légère, un antidépresseur servant à balayer sous le tapis les vrais problèmes. Tous les peuples n’offrent pas la même « énergie » et celle des Anglais est plutôt soumise, arrangeante, conciliante à l’extrême alors que c’est justement ce qui ne m’est d’aucun secours.

 

Paradoxalement, tout en ne sachant pas facilement donner, j’ai également un mal fou à recevoir vraiment. Plusieurs fois dans ma vie, j’ai reçu de l’argent en postulant à des offres qui me permettaient de payer mes années de « quête spirituelle » et certaines expériences. Ainsi en tant qu’handicapé disposant d’une RQTH, j’ai pu percevoir des bourses sur deux années pour mes études qui m’ont servi à assumer le coût de la vie étudiante de façon très confortable, car je n’ai jamais eu à travailler en parallèle de mes études. Je n’ai travaillé que cette année en effectuant des missions pour l’université, assez peu rémunérées du reste, mais que j’ai fait pour apprendre. Ce qui me surprend encore aujourd’hui, c’est combien je me sens coupable que des entreprises privées m’aient trouvé et se soient dit : « Lui, on va le subventionner ! ». Je me suis dit : « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai de plus que les autres ? » ou encore « C’est vachement sympa pour les autres. C’est un branleur dans mon genre qui a droit aux bourses alors que d’autres attendent qui en ont plus besoin ». Elles m’ont permis de survivre deux ans sans trop d’aide financière — parasite — de mes parents, qui plus est dans une ville chère comme Bordeaux (comparé à ma ville natale), tout ça pour que je consacre plus de temps à ma quête spirituelle qu’à mes études — que je ne supporte plus.

 

Je sens en moi que mon énorme difficulté à donner est ce qui m’empêche le plus de me déconditionner, de me libérer et donc de progresser. « J »’ai aussi une forme de crainte — amplifiée par la prédation — que mes partages se transforment en psychologie (ou plutôt « psyconlogie ») de comptoir, de voir mes écrits dériver à mon insu vers une forme de complainte. Aussi, si jamais certains de mes écrits devaient dériver vers un partage purement cérébral, je souhaite que l’on me le signale car je ne m’en rends pas toujours compte.

 

Encore merci à l’équipe LEO de permettre ces partages, souvent confrontants mais très instructifs,

 

Florian R

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Pascal Noyrigat (lundi, 13 avril 2020 19:09)

    Merci Florian ! Décapant à souhait...